(Par Margot Pitou, Master DRHPS (Univ. de Versailles, France), adjointe à la recherche pour l’étude de Monique J. Charlebois)
Lorsque la succession touche à des biens se situant à l’intérieur de l’Ontario, les règles régissant la succession restent relativement simples puisque les lois ontariennes et plus généralement les règles canadiennes viennent naturellement à s’appliquer. Néanmoins, il en est autrement lorsqu’on possède des biens situés en France… En effet, la complexité du droit international engendrée par cet élément d’extranéité vient soulever de nombreuses questions : Quelle est la loi applicable à la succession ? Est-il possible de choisir la loi applicable au testament ? Sous quel régime fiscal le testament sera-t-il régi ? Autant de questions avec lesquelles il est facile de se perdre…
1) La loi applicable
Face à la complexité du droit international privé, l’Union européenne a décidé d’établir un nouveau règlement européen afin d’unifier et d’harmoniser les règles en matière de succession. Celui-ci est applicable depuis le 17 août 2015[1]et concerne toutes les successions intervenant ultérieurement à cette date. Pour les successions antérieures, les règles de conflit de lois internes doivent être prises en compte.
Selon ce règlement, la succession sera régie par la loi du pays où se trouve la dernière résidence habituelle du défunt. Prenons l’exemple d’une personne de nationalité canadienne ayant sa dernière résidence en Ontario et possédant un immeuble en France. L’ensemble de sa succession devrait donc être régi par les lois successorales ontariennes y compris pour les biens situés en France. Plus facile à lire qu’à faire … puisqu’en effet le droit international ne saurait être un droit complexe si toutes les règles se profilaient de manière aussi simple !
Dans ce genre de cas un renvoi de loi aura surement lieu eu égard au fait qu’un bien de la succession soit situé en France. En effet, les règles de conflit de lois de l’Ontario, concernant l’intérêt sur un bien-fonds, renvoient la compétence à la loi du lieu où se situe ce bien-fonds[2]. Concrètement, concernant la succession d’une personne ayant son dernier domicile en Ontario et possédant un immeuble en France, la loi applicable à la succession sera la loi ontarienne sauf concernant l’immeuble situé en France. Pour ce dernier il faudra appliquer la loi française.
Ce mécanisme de renvoi à la loi française peut engendrer plusieurs problèmes. Par exemple, certaines volontés du défunt pourraient être contrecarrées par la loi française qui ne les reconnaîtrait pas ou encore, la loi française pourrait imposer des obligations successorales non souhaitées par le testateur.Dès lors, si le défunt souhaitait léguer l’ensemble de sa fortune à son conjoint, y compris l’immeuble situé en France, le mécanisme du renvoi de loi l’en empêcherait (concernant cet immeuble) car la France impose une réserve successorale aux enfants du défunt. Il est donc impossible de déshériter ses enfants en France. Le mécanisme du renvoi doit alors être pris au sérieux lorsqu’on souhaite mener à bien sa succession. Cependant, une solution reste envisageable si on ne souhaite pas que notre succession soit régie par différentes lois et, en l’espèce, si on veut léguer toute notre fortune à notre conjoint y compris notre immeuble qui se situe en France. Il s’agit d’effectuer un choix de loi dès la rédaction du testament.
2) Le choix de loi
Depuis 2015, ce choix de loi permet, par exemple, à une personne de nationalité canadienne ayant son domicile au Canada et possédant des biens en France de choisir de régir l’ensemble de sa succession sous la loi canadienne (plus précisément la loi de la province dans laquelle il a son domicile habituel). Si cette personne a la double nationalité, française et canadienne, elle aura alors le choix de régir sa succession soit sous la loi française, soit sous la loi canadienne. Ce choix doit être formulé de manière expresse dans le testament. Attention cependant, il n’est pas possible de choisir la loi canadienne concernant certains biens et la loi française pour d’autres situés en France. Le règlement ne permet pas le morcèlement de la succession sous différentes lois par choix du testateur. Ce morcèlement n’est possible qu’au travers du mécanisme du renvoi tel qu’expliqué ci-dessus.
En plus, selon certains commentaires,[3]grâce au choix de loi on pourrait même obtenir l’imposition d’un trust sur les actifs en France bien que ce dernier ne soit pas reconnu légalement par la France. En effet, lorsqu’un Etat tel que la France ne connaît pas le trust, le règlement européen va lui imposer l’obligation d’adapter les droits engendrés par le trust pour les faire correspondre à un droit qu’il connait. La France sera donc obligée d’adapter les droits liés au trust pour les faire correspondre aux droits reconnus en France et ainsi faire en sorte de respecter les volontés du testateur.
Ainsi, le choix de loi permet au testament d’être établi sous une seule et unique loi. Attention cependant, car certaines règles françaises telles que celles ayant trait à l’ordre public international ne pourront pas être évincées malgré le choix de loi.
Pour précisions, l’ordre public international français englobe par exemple, les principes comprenant les droits protégeant la personne humaine et sa dignité, les principes qui se rattachent aux fondements politiques, familiaux et sociaux de la société française, les droits fondamentaux français ainsi que les principes essentiels du droit français. L’atteinte à ces principes par une loi étrangère va donc déclencher l’exception d’ordre public international et ainsi bloquer l’application de cette loi étrangère. Dès lors, si l’un des choix de loi effectué par le testateur est jugé contraire à l’ordre public international français ce dernier ne sera pas effectif en France et ne pourra pas être respecté.
Pour résumer, les choix qu’offre le règlement sont de deux ordres :
- Le testateur peut décider de ne pas effectuer de choix de loi, dans ce cas il se risque à ce que la loi française intervienne, il est alors important de se renseigner sur tous les aspects sur lesquels la loi française pourrait avoir un impact.
- Le testateur effectue un choix de loi pour que l’ensemble de sa succession soit régie par une loi unique, par exemple la loi canadienne ou la loi française (eu égard à ne pas heurter l’ordre public international français lors de la mise en place du contenu du testament sous la loi canadienne).
3) La réserve héréditaire
La question de la réserve héréditaire a fait l’objet d’un long débat en France. Un flou juridique s’était installé s’agissant de l’appartenance de cette réserve successorale à l’ordre public international français. Cependant par deux arrêts récents du 27 septembre 2017 les juges français viennent affirmer qu’une loi étrangère qui ne connaît pas la réserve héréditaire pourrait s’appliquer en France. Autrement dit, la réserve héréditaire ne serait pas automatiquement protégée par l’ordre public international. Attention cependant, car il s’agit ici d’arrêts inédits qui ne sont pas publiés au bulletin officiel français, cela signifie qu’il n’y a pas de volonté de la part des juges français de vouloir inscrire cette décision comme un principe du droit français. Pour l’instant il ne s’agit que d’une décision casuistique. Bien que l’on puisse se réjouir de ces décisions, elles restent à manier avec précaution.
Mais alors, comment définir cette sacrée réserve héréditaire qui pourrait vous empêcher de mener à bien votre succession ? Nous avons vu, ci-dessus, que la réserve héréditaire est une part de la succession qui est réservée aux enfants, en réalité cette notion est un peu plus complexe que cela…
En France, le patrimoine d’une personne est divisé en deux parties. L’une est appelée la réserve héréditaire qui comme son nom l’indique est réservée aux héritiers réservataires et ne peut faire l’objet d’une donation à un tiers. L’autre est nommée la quotité disponible et correspond à la part du patrimoine dont le testateur peut disposer librement et léguer cette part à qui il le souhaite.
Les héritiers réservataires sont de deux sortes :
- Les enfants (par enfants, il faut entendre les descendants en quelque degré que ce soit, ainsi si un enfant décède, les petits enfants pourront venir réclamer la part de leurs parents par le mécanisme de la représentation).
- Le conjoint survivant marié si le testateur n’a pas d’enfant.
Le calcul de la réserve héréditaire :
Nombre d’enfants | Réserve héréditaire | Quotité disponible |
O | 1/4 Au conjoint marié | 3/4 |
1 | 1/2 | 1/2 |
2 | 2/3 partage à parts égales | 1/3 |
3 ou + | 3/4 partage à parts égales | 1/4 |
4) Le formalisme
La complexité d’avoir un élément d’extranéité intervient également dans la forme que doit revêtir le testament. En effet, le fait de posséder des biens en France et au Canada pose la question de comment les différentes juridictions, françaises et canadiennes vont interpréter la forme du testament. Le formalisme diffère d’un pays à un autre, il se peut qu’un testament rédigé sous la forme canadienne ait du mal à être interprété par certaines juridictions françaises et inversement. C’est à ce moment que le testament international intervient. Il sera reconnu formellement en France comme en Ontario[4].
5) Risque-t-on la double imposition ?
Au vu de la complexité des règles relatives à loi applicable à une succession contenant un élément d’extranéité, à savoir un ou des biens situé(s) en France, il serait logique de penser que les règles fiscales qui entourent ce type de succession n’en soient pas moins compliquées. Toutefois, cela n’est pas le cas. En effet, la France et le Canada ont signé une convention bilatérale[5]permettant d’éviter les doubles impositions, notamment sur les revenus provenant d’une succession. Ainsi, si le défunt avait sa résidence habituelle au Canada et des biens situés en France, lorsque ces biens feront l’objet de la succession au Canada, ceux-ci ne seront pas imposés plusieurs fois, ils ne seront frappés par l’impôt qu’une seule fois, ceci dans l’objectif d’éviter des surcoûts relatifs à la succession.
[1] https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2012:201:0107:0134:FR:PDF(visionné le 9/12/2018)
[2] https://www.ontario.ca/fr/lois/loi/90s26?search=conflit+de+loi#BK36(Visionné le 9/12/2018)
[3] https://www.cridon-lyon.fr/wp-content/uploads/2016/04/Dip-Ouvrage.pdf (visionné le 9/12/2018)
[4] https://www.ontario.ca/fr/lois/loi/90s26(visionné le 9/12/2018)
[5] https://www.fin.gc.ca/treaties-conventions/france_-fra.asp(visionné le 9/12/2018)